Mary-Jo Arn, ed. - Charles d'Orléans in England 1415-1440. (Cambridge: D. S. Brewer, 2000, x + 231 pp., £ 45.00, $ 75.00.)

Cet ouvrage collectif apporte un nouvel éclairage sur les vingt-cinq années de captivité de Charles d'Orléans en Angleterre à la suite de la défaite d'Azincourt (1415). D'emblée, l'ambition de Mary-Jo Arn peut sembler audacieuse et vaine si nous songeons aux études quasi exhaustives de Daniel Poirion ou de Pierre Champion sur la vie et l'œuvre du prince-poète. Or, ce livre ne se contente pas de ressasser d'anciennes polémiques, il formule de nouvelles questions, apporte des réponses concrètes et nous offre ainsi " a multifacetted view of a complex and sophisticated poet, reader, bibliophile and nobleman " (2).

À la lumière de pièces comptables et diplomatiques, Michael K. Jones réexamine les raisons d'une si longue détention, les implications politiques et souligne avec conviction le rôle de Charles dans l'élaboration du traité signé le 16 juillet 1427 à Blois. L'étude inédite de William Askins, d'une lecture plaisante, met en relief la personnalité des geôliers anglais, leur attitude à l'égard de Charles d'Orléans. Politiciens ou hommes de guerre, ces geôliers n'étaient pas aussi incultes que cela - " many were interested in books and in what lay between their covers " (3). Sous la garde de Sir Thomas Cumberworth, Charles eut ainsi l'opportunité de lire The Canterbury Tales et de côtoyer des personnes qui partageaient son goût pour la poésie chaucerienne. À une époque meurtrie par la guerre de Cent Ans, la curiosité littéraire semble en pleine ébullition. Au témoignage d'opuscules, Gilbert Ouy met l'accent sur l'esprit éclectique de Charles d'Orléans et sa générosité qui lui valut l'estime de Thomas Wynchelsey, professeur de théologie. Un des moments les plus captivants de l'analyse de Gilbert Ouy est celui où il explique comment le duc d'Orléans a pu se procurer une copie du Testamentum peregrini. Il découvre de nouveaux manuscrits appartenant à Charles et Jean d'Angoulême et démontre en même temps l'existence d'une correspondance entre les deux frères et Jean Gerson durant leur captivité. La découverte du manuscrit BN MS lat. 1203, où s'entrecroisent les écritures de Charles et de Jean d'Angoulême, est également digne d'intérêt. Jusqu'ici la critique moderne était persuadée que le duc d'Orléans et son frère n'avaient jamais vécu ensemble durant leur exil, or cette œuvre commune infirme une telle allégation.

Sur le plan thématique et stylistique, Claudio Galderisi établit pour la première fois des liens logiques entre le concept poétique du temps et les distances linguistiques " que le poète s'est efforcé de sonder et de réduire son œuvre durant " (82). L'impact psychologique et linguistique de la langue anglaise sur le lexique de Charles d'Orléans est indéniable. Le lecteur féru d'étymologie appréciera la subtilité des analyses de John Fox. Après avoir signalé certaines fautes de traduction commises par les éditeurs anglais, le médiéviste remarque à quel point l'expérience de l'écriture anglaise a pu conditionner le style des rondeaux macaroniques. Selon Rouben C. Cholakian, même à son retour d'exil, le prince-poète serait encore trop soucieux de versifier ses émotions pour prêter attention au " monde vivant " qui l'entoure, d'où une poésie de plus en plus " enroillié de Nonchaloir " (Ballade LXXII). Le rapprochement entre l'œuvre orléanaise et le poème d'amour The Kingis Quair permet à A. C. Spearing de placer le thème du rêve sous un éclairage inédit. Cette double lecture minutieuse précise quelle signification le duc d'Orléans et Jacques Ier, roi d'Écosse, accordent à leur vision onirique. Si la rencontre du prince et du roi à la Tour de Londres reste une énigme, l'amitié entre Charles et William de la Pole, duc de Suffolk est certaine. L'expérience commune de la guerre et de l'exil a pu susciter chez William une certaine compassion à l'égard de l'otage d'Azincourt. Bien que le duc de Suffolk s'essayât à la poésie, il est peu probable qu'il soit l'auteur de cette œuvre poétique en moyen-anglais recueillie dans le petit volume n° 682 de la Collection Harleian. Derek Pearsall avoue attacher peu d'importance à cette paternité littéraire et préfère se concentrer sur le texte poétique, qui reflète le milieu littéraire de l'époque. Étant donné la complexité des images allégoriques, Jean-Claude Mühlethaler reconnaît qu'il est difficile de discerner des implications biographiques dans les poésies d'inspiration courtoise. Les ballades de Charles d'Orléans se prêtent mal à " une grille de lecture immuable " (170) car le rapport entre le sens littéral et le sens métaphorique change d'une poésie à l'autre. Le déchiffrage allégorique posait-il autant de difficultés au contemporain du poète captif qu'au lecteur moderne ? Comment a-t-il perçu ses poésies ? Avec nuance et objectivité, Jean-Claude Mühlethaler cherche une réponse dans l'édition d'Antoine Vérard (1509) où les poésies choisies ont fait l'objet d'un travail de réécriture pour être en parfaite harmonie avec la logique allégorique et amoureuse de l'époque. En relevant les variantes entre le manuscrit personnel du duc et cette anthologie, le critique parvient à distinguer les textes, trop ancrés dans le vécu, qui ont résisté à " une récupération courtoise " (170). Toutes ces modifications et réticences offrent au médiéviste des indices pour reconnaître, parmi les ballades, " celles qui aux yeux des contemporains de Charles d'Orléans étaient les poésies d'un captif plutôt que d'un amoureux " (170). Le contemporain de Charles n'était pas insensible aux effets autobiographiques, mais il préférait tout simplement lire une poésie en clé courtoise pour fuir une réalité trop pesante. A-t-il perçu les subtilités de la poésie introspective de Charles d'Orléans, " The man forlost that wot not where he goth " (Ballade 70) ? A-t-il perçu l'expression du moi dans les images allégoriques ? La poésie est pour Charles d'Orléans un refuge où il fuit, lui aussi, une existence où l'espoir de liberté est incertain.

L'édition de Mary-Jo Arn témoigne d'une volonté d'éveil. En lisant ses dernières lignes le lecteur éprouvera le désir d'en savoir plus. À l'aube du xxie siècle, cet ouvrage donne à l'œuvre orléanaise une juste place dans la lice des études de la littérature médiévale. - Carole Bauguion (U.C.O. Angers).